Thierry Davila, 2002, éditions du Regard
Thierry Davila fait le constat qu’une partie de l’art actuel accorde au déplacement un rôle majeur dans l’invention des œuvres.
« C’est à partir de l’accès aux territoires, avec lui, que peut avoir lieu leur invention. »
L’auteur, conservateur au Mamco de Genève, étudie la question de la mobilité et son traitement par les artistes, à travers la figure de l’homme qui marche, de l’arpenteur. Cette figure prend différentes formes, comme le souligne l’intégralité du titre : le piéton, le pèlerin, le manifestant, le flâneur,… Le livre relate l’histoire de la flânerie et analyse des problématiques qu’elle engendre dans le travail de certains artistes contemporains . Le thème, récurrent dans l’art, de la spatialisation s’étend ici au mouvement et au déplacement, qui deviennent éléments centraux de la création. Ce brillant essai n’est pas seulement une claire présentation des travaux-parcours de quelques « piétons planétaires » tels que Gabriel Orozco, Francis Alys et le groupe romain Stalker; c’est aussi un très stimulant essai sur notre rapport à la déambulation dans l’espace-temps d’aujourd’hui : ces artistes y ont ouvert des interstices pour le jeu, la fiction et la liberté.
SB
catalogue RMN, 2000
textes de Maurice Fréchuret, Daniel Arasse (voir extrait ci-dessous), Patricia Falguières, Eric Michaud, Lionel Nourg, Gilles A. Tiberghien, Thierry Davila
Extrait du texte de Daniel Arasse
La meilleure façon de marcher. Esquisse pour une histoire de la marche
d’arpenteurs, les figures de la marche
Qu’elle soit citadine ou campagnarde, qu’il s’agisse du piéton sans carrosse ou du paysan attaché à la terre, la marche devient ainsi la figure d’une condition non plus terrestre mais terrienne. Elle n’est plus perçue comme la conséquence de la Chute originelle mais comme la pratique d’une pesanteur qu’il convient de dissimuler par l’élégance civile d’une démarche codifiée ou, mieux encore, d’éviter en quittant le sol pour se faire transporter -que ce soit à cheval, en voiture ou en chaise à porteurs. On comprend, dans ce contexte, que le portrait, peint ou sculpté, puisse présenter son modèle debout ou assis, mais pas en marche- tandis que, dans le portrait équestre, la monture imite la marche mais le modèle demeure noblement assis.
10 octobre 2017, de 10h à 19h
Auditorium Colbert de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA)
6 Rue des Petits Champs, 75002 Paris
Comment concevoir des œuvres d’art réalisées avec l’implication physique de leurs spectateurs, des œuvres à même de provoquer des expériences esthétiques autant que pratiques ?
Entre deux registres d’activité a priori opposés, la contemplation et l’usage, comment proposer une troisième voie : celle d’œuvres “praticables”, constituées pour et avec l’action du public ?
En s’appuyant sur le récent ouvrage Practicable. From Participation to Interaction in Contemporary Art édité chez MIT Press par Samuel Bianchini et Erik Verhagen, une douzaine de contributeurs – artistes, historiens et théoriciens de l’art – reviendront sur cette problématique aussi bien historique qu’actuelle, de la naissance de la cybernétique aux dispositifs socio-techniques contemporains.
Ghislain Mollet-Viéville
Personnellement, je m’intéresse à l’art au niveau de tout ce qui constitue ses contours et j’entends par là, tout ce qui va pouvoir être généré comme relations au sein de notre société au point de voir l’œuvre devenir secondaire face aux comportements qu’elle induit.
L’art, c’est un état d’esprit c’est pourquoi je ne suis pas concerné par les œuvres qui sont des objets finis sur lesquels on ne pourrait pas intervenir. Mon attention n’est retenue que par les œuvres qui correspondent à la première définition qu’en donne le dictionnaire : une œuvre comme activité, travail. Par exemple « être à l’œuvre » ne signifie pas produire un objet d’art. Je me sens proche de ce qu’avance Paul Valéry quand il écrit en 1935 : « Et pourquoi ne pas concevoir comme une œuvre d’art l’exécution d’une œuvre d’art » (1).
Les artistes que j’associe à mes réflexions, sont donc ceux qui me proposent des protocoles m’invitant à réaliser leurs œuvres en les vivant. Idéalement ce seront ceux qui me feront agir dans la vie réelle et dont les œuvres varieront au cours du temps en fonction de l’idéologie de leur époque.
Aujourd’hui il n’est pas question d’avoir pour but de remettre en question l’art, cela a été fait trop systématiquement et finalement c’est devenu une sorte de leitmotiv qu’il est temps dépasser. Il faut plutôt procéder plus radicalement en se déportant hors des lieux de l’art et libérer l’art de l’idée de l’art (et cela c’est déjà tout un art !).
Ainsi procède Jean-Baptiste Farkas avec son entreprise IKHÉA©SERVICES qui propose à titre d’œuvres, des conduites nous éloignant de la routine (2).
L’objectif de Jean-Baptiste est de créer des anomalies dans l’univers normé de nos existences. Ce sont donc à de véritables défis auxquels il nous invite afin d’expérimenter des situations dont les issues souvent imprévisibles, sont toujours riches d’enseignements.
Il fait partie de ces auteurs qui privilégient des actions pour lesquelles il n’y a pas un concepteur et des spectateurs pour une œuvre unique, mais de multiples acteurs qui participent à des manœuvres collectives dont les artistes sont à l’origine.
Ainsi, avec l’art qui a pour postulat la sociabilité, nous assistons à une mutation culturelle où l’expérimentation, l’échange ainsi que le partage s’opposent au principe d’une propriété exclusive de l’œuvre. Je pense en effet que l’art (comme la culture), doit pouvoir être transmissible de manière illimitée et se fortifier dans la mesure où il est partagé et exploité par tous.
Enfin activer l’art plutôt que de l’accrocher comme un trophée au dessus de sa cheminée, voilà qui nous exhorte à devenir les initiateurs d’un certain « art de vivre » décalé et c’est ce que je souhaite à tous ceux qui viennent de me lire.
(1) Paul Valéry, « Mon buste » [1935], Œuvres II, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1960, p. 1362. Je me sens proche de cette phrase, étant moins attaché au résultat formel donné à l’œuvre, qu’aux expériences qu’elle suscite lors de sa réalisation et de son exploitation.
(2) Des modes d’emploi et des passages à l’acte, Jean-Baptiste Farkas, éditions Mix, Paris, 2010
Jean-Gabriel Fredet, Albin Michel 2017
Il se passe toujours quelque chose sur la scène de l’art contemporain. Maurizio Cattelan exposait récemment à New-York, – au musée Guggenheim – son dernier chef-d’œuvre : une cuvette de WC en or massif. Au printemps 2017, Jeff Koons détournait les chefs-d’œuvre classiques pour lancer une ligne de sacs d’une grande marque de luxe reproduisant des tableaux célèbres de Léonard de Vinci ou de Rubens. À Venise, pour signer son grand retour, Damien Hirst proposait, lui, une exposition hollywoodienne, 200 pièces récupérées d’une épave engloutie ( en fait, entièrement fabriquées dans ses ateliers). Prix affichés, entre 400 000 et 4 millions de dollars.
Dans cet univers sans foi ni loi, des managers affûtés manipulent les prix à l’abri des regards et dictent leur volonté au marché dans l’indifférence de la critique comme des conservateurs de musée qui regardent ailleurs, tétanisés par la crainte de rater les « nouveaux impressionnistes ».
Provocation des artistes, conformisme des amateurs : l’art contemporain devait nous aider à comprendre le monde. Il danse aujourd’hui sur un volcan.
SB