En ce mardi de rentrée, et par une météo radieuse, nous nous retrouvons une petite douzaine au pied de la gare du téléphérique pour nous rendre au CAB, que les amateurs d’art contemporain connaissent bien.
Le Centre d’Art Bastille accueille actuellement et jusqu’au 30 septembre l’exposition Because it dissolves in water de Wilfrid Almendra.
Arrivés au sommet, grâce aux bulles, nous sommes reçus par Frédéric le Gorrec, collectionneur et président du CAB, accompagné des deux médiatrices actuellement en stage, et rejoints par Karim, courageusement monté à pied.
Après une rapide présentation de Wilfrid Almendra, artiste franco-portuguais, né en 1972, qui vit et travaille à Marseille, Frédéric nous parle longuement de son rapport au matériaux, et plus précisément aux matériaux de construction. En effet, la quasi-totalité des œuvres exposées sont produites à partir d’éléments récupérés, lors de la destruction d’une maison témoin de type Phénix, par exemple, pour la série des Model Home(Sonata) que nous découvrons dans la première salle, ou d’une serre pour l’immense installation in-situ Because it dissolves in water installée au niveau suivant.
Les Model Home (Sonata) produites entre 2012 et 2018 sont des pièces murales très rigoureusement réalisées à partir de grilles anti-effraction qui rythment la composition, dans lesquelles il assemble du verre cathédrale, du bois, du carrelage, du métal – cuivre ou étain, du goudron, du plâtre, un miroir. Ces constructions jouent avec la lumière évoquant l’art du vitrail, à la fois par les matériaux, et par la rigidité du chassis, et font parfois penser par leur composition à Mondrian.
À noter l’énorme travail déployé par l’équipe du CAB pour la scénographie, l’éclairage du lieu ayant été totalement rénové à cette occasion, et le volume de la pièce radicalement transformé pour permettre cet accrochage.
Because it dissolves in water, installation in situ dans la seconde salle transforme l’espace en l’habillant de panneaux de verre venant de divers horizons, entre autres d’une serre nantaise et marqués par leurs précédents usages (traces de terre, de colle, de peinture…). Un jeu de transparence qui laisse deviner le paysage, et l’architecture militaire et bi-centenaire dont il oppose la solidité et la pérennité à la précarité du matériau et de son assemblage millimétrique, quasiment invisible, à base d’adhésif transparent parfois conforté par un cordon de silicone.
Cette installation inclut quelques œuvres préexistantes, telle cette lame de cuivre profondément oxydée par de la saumure, Cynthia, pomme métallique, coulée avec des matériaux de récupération, ou ces panneaux enchâssant la plante immiscée entre les deux lames de verre du double vitrage. Autres notes organiques, une plume de paon, ou un papillon resté collé lors du montage.
La troisième salle, anciennement scindée par une cloison diagonale abritant les réserves du CAB a retrouvé son beau volume d’origine, et présente une dernière Sonata, en double largeur cette fois ci, installée sur une cloison masquant la fenêtre donnant sur la vallée de l’Isère, tout en en récupérant la lumière pour en illuminer les verres.
Au dernier niveau nous surplombons une dernière sculpture, une antenne, de grande série, montée sur un socle de cuivre et de bronze, et reliée par des câbles courant le long des murs à différents éléments du CAB, et à un ordinateur. Cette antenne diffuse brièvement et aléatoirement sur les ondes, à intervalles réguliers des éléments de poésie sonore collectés par Wilfrid Almendra.
Chers « Amis du Magasin » et amis tout court
Après un été qui ferait prendre conscience à tout dirigeant de grand pays, de l’urgence à considérer l’écologie comme une voûte à toute politique mais qui nous a quand même bien arrangé dans nos activités de loisirs, voici un petit billet de rentrée.
L’art contemporain reprend vigueur hors des expos d’été en pays touristiques (quoique dans le secteur d’Annecy, les institutions étaient fermées tout l’été!…). Art-o-rama à Marseille en cette fin de semaine, mais aussi à deux pas de chez vous, une exposition remarquable au Centre d’Art Bastille, accessible en bulles, à pieds ou en voiture par La Tronche.
Elle mérite une large audience pour au moins 3 raisons liées à l’artiste et une quatrième liée la structure.
La qualité de l’artiste sur l’ensemble des œuvres créées jusqu’à ce jour.
La beauté plastique (n’ayons pas peur de ces mots) des modèles home (Sonata) présentées dès l’entrée.
L’intelligence avec laquelle il s’est emparé du lieu et de la salle d’entresol.
En revanche, je vous recommande de vous faire expliquer par le médiateur les infimes dispositifs qui jalonnent le circuit et qui sont en relation avec l’antenne du sous-sol.
Présenter une telle exposition avec les moyens infimes dont dispose le CAB, (exposition qui plus est, faisant suite à celle de Jeanne Susplugas) est une gageure, relève de l’exploit, du courage et de l’huile de coude !
À voir de toute urgence ; à vos baskets, voitures ou porte-monnaie (bulles). N’hésitez pas à en parler autour de vous.
Sylvie Berthemy Présidente
Gilles Fourneris propose une visite commentée de l’exposition Absence, qui met en scène sa collectionson le mardi 28 août à 18h45, au château de la Veyrie, à Bernin. D’autres visites commentées sont possibles (demande par courriel à veyrie@bernin.fr)
Exposition Junya Ishigami, Freeing Architecture .
Du 30 mars au 9 septembre 2018
Des maquettes comme œuvres architecturales
Dans Freeing Architecture, Junya Ishigami développe ses recherches les plus récentes sur la fonction, la forme, l’échelle et l’environnement en architecture, esquissant ainsi sa vision du futur du premier art. À travers plus de quarante maquettes ainsi que de nombreux films et dessins, l’exposition présente une vingtaine de projets, de leur genèse à leur complexe processus de réalisation. Loin d’être des outils de travail préalables à la construction, les maquettes réunies dans l’exposition ont été réalisées pour l’occasion. On devine, en contemplant ces œuvres façonnées à la main et assemblées dans le studio de l’architecte pendant près d’un an, les nombreuses étapes et le travail minutieux qui ont conduit à leur apparence finale. Toutes différentes par leurs matériaux, leurs dimensions et leur niveau de détail, elles offrent un aperçu de la lente maturation nécessaire à la création des œuvres architecturales de Junya Ishigami. Des œuvres dont la dimension poétique repose sur l’expérimentation autant que sur la théorie, le savoir et la technologie.
L’architecture comme phénomène naturel
Véritable ode à la liberté, l’exposition Freeing Architecture démontre l’étonnante capacité de Junya Ishigami à penser sa pratique hors des limites du savoir-faire et de la pensée architecturale. Elle invite à un voyage dans l’imaginaire de l’artiste, révélant une pluralité de mondes poétiques et sensibles. Une ligne dessinée dans le ciel esquisse un monument (Sydney Cloud Arch, Sydney, Australie), un collage d’illustrations et de dessins pour enfants sert de motif au toit d’un jardin d’enfants (Forest Kindergarten, Shandong, Chine). Junya Ishigami aime à penser que l’architecture peut se former naturellement, à l’image d’une pierre qui se construit dans le temps, par sédimentation et érosion. Un projet de restaurant et d’habitation pour un chef dans le sud du Japon est envisagé « comme un rocher » (House and Restaurant, Yamaguchi, Japon). Entre terre et ciel, un lieu semi-ouvert pour les étudiants d’une université évoque un ciel changeant barré par un horizon imaginaire (University Multipurpose Hall, Kanagawa, Japon).
Un nouveau paysage
Junya Ishigami conçoit l’environnement alentour comme une partie intégrante de chacun de ses projets. Il intègre le paysage dans son travail, le magnifiant toujours et allant même jusqu’à le transformer, comme dans son projet de lac artificiel à Rizhao en Chine dessiné pour laisser passer, en son milieu, une longue promenade d’un kilomètre ; ou dans celui de forêt à Tochigi au Japon pour lequel plus de trois cent arbres ont été déplacés de leur emplacement d’origine et replantés sur un terrain à proximité.
Pensée elle-même comme un projet architectural, l’exposition Freeing Architecture prend tout son sens au sein de l’environnement pour lequel elle a été imaginée : le bâtiment de Jean Nouvel entouré du jardin de Lothar Baumgarten. Minutieusement scénographiée, l’exposition dessine dans chaque salle un nouveau paysage, laissant le visiteur se promener le long d’un chemin sinueux et découvrir sans cesse de nouvelles perspectives. La gigantesque reproduction à l’échelle 1/10 d’une très haute église toute en courbes (Chapel of Valley, Rizhao, Chine) côtoie la maquette d’une maison-jardin à la structure métallique rectiligne aménagée avec de vraies plantes et celle de la maison transparente du parc de Vijversburg en Hollande, posée au niveau du sol. Regroupés par affinités électives, les projets forment des chapitres comme par exemple celui du « monde de l’enfance » et des « projets-nuages ». Dans les espaces ouverts et dépourvus de murs de la Fondation Cartier, la juxtaposition de petites et de grandes maquettes, ainsi que d’immenses collages et de dessins, créent une atmosphère tour à tour solennelle, onirique, joueuse ou calme.
Plus d’infos : https://www.fondationcartier.com/expositions/junya-ishigami
Wilfrid Almendra Because it dissolves in water
Du 8 juillet au 30 septembre 2018 au Centre d’Art Bastille
15 et 16 septembre 2018 : pour les journées Européennes du Patrimoine, visites commentées de l’exposition offertes à tous.
Dans le travail de Wilfrid Almendra les notions de partage, de liens, de connexions, d’échanges, d’idées et de matière sont au centre de tout.
Pour lui, prendre le temps de découvrir, prendre le temps de comprendre, prendre le temps d’écouter sont des notions fondamentales.
Préoccupé par le vivre ensemble, son travail révèle l’invisible, l’oubli, l’enfoui.
Fervent pratiquant d’une économie parallèle qu’il préfère à un système économique plus classique; l’échange, le troc, sont au cœur de sa manière de se procurer les matériaux qu’il utilise pour la réalisation de ses œuvres.
Il met en place une réciprocité, tant pratique et matérielle que temporelle. De là naissent alors des échanges rendus possibles uniquement par la dimension artistique de son travail.
Il donne ainsi à voir des pans entiers de mémoire collective : utopies urbaines avortées (Constant Nieuwenhuys), architectures de la réparation (Neutra, Saarinen ou C&R Eames) ou encore habitations de l’espace public reléguées à l’oubli (jardins ouvriers).
De son rapport à l’architecture nous trouvons ici ses Model Home (Sonata) (2012-2018). Présentées comme des pièces murales elles sont réalisées à partir de grilles anti-effraction, de mains courantes (qui donnent le rythme à la composition), de vitres, de bois, de métal… Ces matériaux ont été récupérés suite à la destruction d’une maison témoin, dans une zone rêvée pavillonnaire et transformée en zone industrielle.
Ces éléments viennent alors normer, définir le projet, mais n’empêchent nullement la re-création ou le ré-agencement de certaines d’entre elles.
Dans les années de l’après-guerre l’accession à la propriété, principalement de la classe moyenne, passe très souvent par l’achat d’une maison individuelle avec jardin. Très souvent, et donc en contradiction même avec ce souhait d’individualité, ces maisons sont standardisées pour une réduction de coûts.
Ces sculptures flirtent avec le diy dans une idée de minimalisme tout en rythme. Il serait incomplet de passer sous silence l’importance de la présence du verre, qui confère alors à ces installations une dimension christique, agissant à la manière de vitraux dont le jeu est rendu complet par les ombres portées desquelles notre regard ne peut échapper.
Because it dissolves in water transforme à son tour l’espace d’exposition en un tableau mouvant au grès de la journée et des passants. Conçue à partir de panneaux de verre venant de divers horizons (et c’est bien là un des enjeux) réunissant d’anciens verres d’une serre nantaise ou encore issu d’un troc avec une communauté marseillaise, encore marqué par leurs précédents usages (traces de terre, de colle, de peinture…) Wilfrid Almendra joue sur la transparence et la précarité de la construction (les panneaux de verres sont scotchés les uns aux autres) qu’il confronte à un propos plus lourd de sens, la création puis disparition puis récupération des jardins ouvriers, mais toujours tout en poésie.
L’obstruction de la partie basse de la grande baie vitrée révèle un format paysage et permet alors une dépeinte du passant qui vient activer l’installation en l’animant au travers du fait même de venir à la Bastille. En passant aux abords de cette installation, par l’extérieur, il permet au visiteur de l’exposition de découvrir un tableau se jouant en permanence dans une évanescence de chaque instant. Les vitres fonctionnant à la manière d’un filtre, d’un flou naturel, créent une ondulation du paysage.
Travailler sur l’idée des jardins ouvriers n’est pas un fait isolé dans le travail de l’artiste, car toujours, il cherche à mettre en avant, à réactualiser des pans entiers de notre société sans doute voués à l’oublis. Ces jardins apparus à la fin du XIXe siècle sont des parcelles de terrain situées sur l’espace public
et mis à disposition des habitants par les municipalités dans le but de pouvoir améliorer la qualité, le confort de vie des ouvriers. Ces jardins sont un espace de liberté totale, à la manière d’architectures du besoin, où on aime se retrouver le dimanche, en famille ou entre amis pour prendre le temps. Le temps de cultiver, le temps de discuter, le temps d’échanger. Ce sont ces notions qui intéressent le plus Wilfrid Almendra et qui sont la base de la création de ce projet aujourd’hui multi-formes, sujet à discussion, à re-découverte, à souvenirs. Au-delà de l’origine et de la provenance des matériaux, qui reste un élément fort dans la conception de l’œuvre, il y a surtout les notions de précarité et de liberté qui se trouvent au centre de tout.
Sur le dernier niveau du centre d’art nous surplombons une sculpture qui de prime à bord se fond parfaitement dans le lieu, se faisant presque oublier, mais une fois compris de quoi il s’agit, tout fait sens, tout au long de l’exposition, disséminés au sol, des câbles, noirs, présents mais légers à la fois convergent tous à cet espace.
Plastiquement, cette œuvre, une antenne en cuivre et bronze, glanés au fil du temps par une communauté puis ensuite fondus, agit comme un marqueur. Marqueur classique de la sculpture, s’oxydant avec le temps et atteignant alors les normes de canons de l’époque. En opposition radicale avec l’essence de l’objet, une antenne, produite en grande série en Chine et longtemps interdite en France. Nous sommes amenés à en faire le tour, à l’observer, presque dans une circulation divinatoire, mais l’enjeu de cette œuvre se trouve aussi ailleurs. De cet espace, l’invisible est fort, tue, contrariant presque la nécessité de la réalisation de cette installation. En dehors de cette sculpture qui ne ment aucunement sur celle qu’elle est, une autre dimension est ouverte, audible cette fois, mais uniquement de l’extérieur et de manière fort aléatoire. D’antenne nous venons à la radio et à la création, la compilation d’une multitude de bandes sonores réalisés par diverses connaissances de Wilfrid Almendra, toutes fruits de discussions, d’échanges, de rencontres, de découvertes, d’intéressements
à l’autre et de souhaits de retranscription sur un média encore libre et existant, mais pour combien de temps ? Une propagation d’histoires, poèmes, expérimentations, nappes sonores sont réalisés par différentes rencontres, histoires de vie, de projets entre l’artiste qui se pose ici en relai, comme cette antenne, et permet des fulgurances, toutes en légèreté, toujours, sans rien imposer, mais en suggérant, en invitant à la rencontre, à la discussion, à l’échange.
Et toujours en surplomb de la ville, à l’intérieur de laquelle il tente de s’immiscer mais sans rien imposer, jamais.
Wilfrid Almendra est un artiste franco-portugais, né en 1972 à Cholet. Il vit et travaille à Marseille.
Dans son travail, idées et matériaux sont inséparables. Son vocabulaire formel est issu de l’architecture, des formes et des surfaces avec lesquelles nous nous entourons. Les matériaux qu’il utilise proviennent le plus souvent de l’économie alternative, du troc et de l’échange. Ils mettent en tension des questions liées aux classes sociales, au désir de confort et à la capacité individuelle d’invention et de poésie trouvée au coeur des choses les plus normatives.
Il est diplômé de l’École des Beaux-arts de Lisbonne, de l’Academy of Fine Arts de Manchester et de l’École des Beaux-arts de Rennes en 2000.
Le travail de Wilfrid Almendra a été montré dans de nombreuses institutions en France et à l’étranger.
Plus d’infos : https://www.wilfridalmendra.com
Déjouer la Ville Créative ?
Façonnements urbains autour du Grenoble Street art Fest’ et du graffiti grenoblois
Léa Sallenave
Léa Sallenave, lea.sallenave@unige.ch, est doctorante en géographie à l’Université de Genève, département Géographie et Environnement et Institut Universitaire de Formation des Enseignants
Résumé :
En 2014, le parti écologique d’Éric Piolle remporte les municipales grenobloises. Il accepte de soutenir un nouveau festival, le Grenoble Street art Fest’. Ainsi, depuis 2015, les murs se couvrent d’images fictionnelles inédites et renouvellent l’étiquetage de la cité : elle est à la fois « branchée » et « populaire », attractive et accessible à tous. Comme toute initiative s’inscrivant dans le domaine public, celle-ci est lue tantôt de manière positive (ce festival serait un outil de valorisation territoriale, de cohésion sociale luttant contre les fragmentations spatiales), tantôt de façon critique (il déconsidérerait certains graffeurs, relèverait d’une faible qualité artistique). Quoi qu’il en soit, le festival devient prétexte pour questionner le rôle des images de rue in et off. Elles permettent d’analyser une façon dont peuvent se construire les territoires.
Document complet :
http://journals.openedition.org/echogeo/15609
Du même aureur, et sur le même thème, vous pouvez aussi consulter l’article publié en septembre 2017 dans la revue Urbanités :
Exposition « Absence » Mémoire d’un lieu vacant
Collection d’art actuel au château de la Veyrie
Exposition du 26 mai au 16 septembre 2018
Rompant avec la tonalité des trois éditions précédentes, le château de la Veyrie transforme, à l’occasion de la saison estivale culturelle 2018, ses pièces délabrées en appartements habités. Rendus à la lumière et au public depuis quatre ans le temps des expositions thématiques artistiques, les espaces du château deviennent pour l’édition 2018 lieux de vie fantomatiques, jalonnés de mobiliers épars, de souvenirs diffus, et de toute sorte d’objets d’agrément qui semblent voués à l’oubli.
Disposés çà et là au coin d’une table ou accrochés non loin d’un canapé dans le halo jaunâtre d’un vieil abat-jour, la plupart de ces objets puisent dans une collection d’art. À la fois éléments du décor et sujet de l’exposition, ils voisinent – relégués au rang de composants d’ambiance – avec d’autres objets, affectifs, emprunts de mémoire, ou bibelots décoratifs, semblables à ceux qui peuplent nos intérieurs domestiques. Cette proximité voit la frontière entre art et non art s’estomper. En affectant notre perception, elle questionne le statut de l’œuvre et nous renvoie aux appartements du collectionneur. Nombre de formes et support artistiques se trouvent rassemblés – différentes créations imprimées, sculptures, peintures, photographies, objets, œuvres sonores et multimédia – réalisés durant les dernières décennies et émanant d’artistes de notoriété variable.
Jouant du contraste entre emménagement et dénuement du château, Absence fait discrètement référence aux lieux de résidence vétustes ou abandonnés, fastueux en leur temps, érigés en place d’art telle la villa Cameline pour n’en citer qu’un, non sans similitude avec la résidence secondaire des Keller à la belle époque.
En cet été 2018, les salles de la Veyrie se muent donc en décor dont les traces de vie jettent un pont entre deux âges, entre présences passées et vacances d’aujourd’hui, entre l’ère de la modernité industrielle à laquelle les Keller œuvrèrent là, entourés de leurs proches familles et collaborateurs, et le siècle actuel qui, si les efforts de la ville de Bernin aboutissent, érigera durablement le public en nouvel occupant du lieu.
Gilles Fourneris Commissaire d’exposition
Entrée libre samedi et dimanche de 14h à 19h
Ouverture sur demande : veyrie@bernin.fr
Exposition Jeanne Susplugas She’s lost control again
Exposition du 29 avril au 24 juin 2018
Vernissage le samedi 28 avril 2018 entre 18h et 21h
She’s lost control again est la première exposition personnelle de Jeanne Susplugas à Grenoble. Pour cette exposition au Centre d’art bastille, elle présente un ensemble d’œuvres qui permettent d’appréhender les différentes facettes de son travail.
L’œuvre de Jeanne Susplugas s’articule autour de l’enfermement, de la souffrance discrète que secrète la vie domestique ou familiale, des addictions. Sa démarche fait souvent appel aux récits ou aux histoires personnelles, qu’elle collecte pour mieux ausculter les maux de la société.
Explorant la figure de la maison, du foyer, entendu à la fois comme lieu de protection contre un monde extérieur potentiellement hostile, et comme lieu de repli sur soi, de claustration, voire de huis-clos et de violence, Jeanne Susplugas se penche aussi sur le motif du médicament qui, anxiolytique ou barbiturique, vient former un contrepoint à cette souffrance discrète en même temps qu’elle en constitue la métonymie.
Loin d’être démonstratif, le travail de Susplugas entretient un rapport en apparence ténu avec ce qu’il énonce, et présente le plus souvent une forme minimaliste, dont les corps sont presque toujours absents. Ses œuvres semblent neutres, voire séduisantes ou ludiques au premier abord, et il faut les approcher, au sens propre comme au sens figuré, pour pouvoir observer le message qu’elles délivrent. C’est ce qui leur donne toute leur dimension, et permet de renforcer l’idée selon laquelle derrière les surfaces ou les façades lisses, peuvent se dissimuler la souffrance ou l’addiction.
Certaines pièces de l’exposition ont adopté cette forme minimaliste. C’est le cas de Nature morte (2015-2017) qui, dans un matériau – la céramique – uniformément blanc, immaculé, figure des corbeilles de fruits dans lesquelles ont été discrètement posés des médicaments qui semblent ainsi s’inscrire de manière définitive dans le paysage domestique. C’est aussi le cas de la pièce intitulée Graal (2013, collection privée), qui figure un comprimé de Lexomil (célèbre anxiolytique) de 12cm de haut, en cristal, lequel, sectionné en trois parties, semble prêt à être consommé. C’est encore le cas
de Light House (2013), cage de lumière ovoïde de 2,80m de haut dans laquelle le visiteur est invité à s’installer de manière à en éprouver le son sourd et la lumière blanche, le renvoyant sur un mode soft à la solitude, aux fausses promesses des drogues douces, à l’expérience de la dépendance.
D’autres œuvres, plus récentes, semblent faire plus directement écho au titre de l’exposition, She’s lost control again – (« elle a à nouveau perdu le contrôle ») – emprunté au titre d’une chanson écrite par Ian Curtis et interprétée par Joy Division : dans ces pièces, Susplugas brise le carcan de la discrétion et du minimalisme bienséant, et le fait littéralement exploser.
Jeanne Susplugas est née en 1974, à Montpellier.
Elle vit et travaille à Paris.
Elle est titulaire d’un doctorat d’Histoire de l’art de la Sorbone, Paris (2000).
Le travail de Jeanne Susplugas a été montré dans de nombreuses institutions en France et à l’étranger dont la Villa Médicis (Rome), la Maison Rouge-Fondation Antoine de Galbert (Paris), le Palais de Tokyo (Paris), le Musée d’Art Moderne de St Etienne, le Musée de Grenoble, le KW à Berlin, Pioneer Works à Brooklyn, la Emily Harvey Foundation à New York, la Maréchalerie centre d’art à Versailles, le Palazzo delle Papesse à Sienne, le Fresnoy National Studio, le Musée en plein air du Sart Tillman à Liège, le Shanghai 21st Century Minsheng Art Museum, le FRAC Haute-Normandie, la Margaret Lauwence gallery de Melbourne, la Marymount Manhattan College Hewitt Gallery à New York, le Centre d’art Le Lait à Albi, Art in General à New York, Magacin gallery de Belgrade, le Wyspa Institut of Art à Gdansk, La Piscine-Musée d’Art et d’Industrie à Roubaix, au MOCCA de Toronto ainsi qu’à l’occasion d’évènements tels Constellation (pré-ouverture du Centre Pompidou-Metz), Dublin-Contemporary, la Biennale d’Alexandrie, l’International Videonale à Detroit, au Dashanzi International Art Festival ou Nuit Blanche à Paris.
Télécharger le communiqué de presse de l’exposition :
http://www.cab-grenoble.net/pdf/cp_jeanne_2018.pdf
Infos pratiques
L’exposition sera ouverte tous les jours sauf le mardi de 11h à 18h.
Pour bénéficier gratuitement du téléphérique entre 18h et 20h le soir du vernissage, une contremarque sera téléchargeable sur le site internet du CAB :
https://cab-grenoble.net/pdf/contremarque_jeanne.pdf
Anthropologue de grand renom, Marc Augé a toujours été préoccupé par la question de l’autre : l’autre individu, l’autre société, l’autre culturel, l’autre géographique.
Dans ce livre, il entraîne son lecteur des stades des grandes villes aux lagunes de la Côte d’Ivoire ; il s’interroge sur le sens du cannibalisme, les rêves des Indiens du Venezuela ou la fonction des héros des séries américaines.
Après plus d’un demi-siècle d’observations, il revient ici sur les relations entre le même et l’autre, telles qu’elles existent au sein de populations africaines ou amérindiennes, et telles qu’elles se dessinent de nos jours, dans le contexte de la mondialisation. L’art, la ville et son expansion galopante, mais aussi les nouvelles mobilités et l’essor des prosélytismes religieux, acquièrent, sous le regard de l’anthropologue, un sens inédit.
Il faut savoir pratiquer l’« art du décalage » et se tenir au « carrefour des incertitudes » si l’on veut échapper à l’uniformité, à la fatalité qui voudrait que l’on soit tous les mêmes.
Marc Augé est l’un des plus grands anthropologues français. Il a présidé l’EHESS, où il a succédé à Fernand Braudel, Jacques Le Goff et François Furet.
Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages qui font autorité. Il a notamment publié Génie du paganisme, Non-lieux ou bien encore Une ethnologie de soi, et plus récemment La Sacrée Semaine qui changea la face du monde, qui fut un grand succès.
« L’artiste professionnel est une erreur et aujourd’hui, dans une certaine mesure, une anomalie. »
“Et l’art est le manuscrit immédiat de la vie.”
Liquidation de l’art contient les premiers écrits de Karel Teige et jette les bases théoriques d’une nouvelle création où “le nouvel art ne sera plus l’art”. En témoignent les reproductions nombreuses et étonnantes qui émaillent ces textes comme ils illustrent parfaitement l’alliance, à première vue incongrue, entre poétisme et constructivisme.
Traduit du tchèque et présenté par Sonia de Puineuf.
Image de couverture : Karel Teige.